Cas de la bienvoyante qui ne voit pas l’aveugle
Un aveugle s’avance sur le trottoir accompagné de son chien d’aveugle et équipé de sa canne blanche. Le handicap de cet homme est reconnaissable également à sa démarche et à son regard.
En sens inverse arrivent une femme âgée d’une bonne quarantaine d’années et sa fille adolescente, elles parlent ensemble et marchent d’un bon pas.
Ce qui arrive me choque et me surprend : la femme n’a pas vu l’aveugle et lui a foncé dessus ! Elle évite le choc frontal au dernier moment et s’écarte en l’insultant.
Je suis atterrée d’assister à un tel incident : il était impossible d’ignorer que cet homme était aveugle et pourtant …cette femme ne l’a pas regardé, ne l’a pas considéré et n’a même pas essayé de (le) comprendre puisqu’elle s’en tire en l’insultant. Elle s’attendait probablement à ce qu’il s’écarte sur son passage ?
Cette anecdote illustre le premier principe de permaculture de David Holmgren : observer et interagir.
Observer et interagir
L’observation est fondamentale avant toute action. En permaculture on passe beaucoup de temps à observer. Observer chaque élément de l’écosystème, à différents moments du jour ou de l’année, on dit souvent qu’il faut au moins un an pour comprendre un lieu et ses habitants, voire plus.
L’observation ce n’est pas seulement voir, c’est regarder, parfois autrement qu’avec les yeux, comprendre, ou essayer de comprendre, entrer en empathie avec son environnement et ses habitants, identifier les activités, les modes de fonctionnements, les points d’équilibre et de rupture.
Quand on observe on cherche à adopter d’autres points de vue que le sien afin de comprendre ce qui se passe pour les différents éléments du système.
La femme de mon histoire a dû voir l’aveugle, mais de son point de vue il aurait fallu qu’il s’écarte pour la laisser passer en continuant de parler à sa fille. Si elle avait adopté le point de vue de cet homme, elle aurait au moins repéré sa canne blanche et son chien, elle aurait compris qu’il ne pouvait pas se dérouter facilement pour la laisser passer et se serait écartée.
Dans ce cas précis l’accident a été évité, mais combien de fois avons-nous créé du désordre ou des accidents, petits ou grands, combien d’erreurs d’appréciation parce que nous n’avons observé notre environnement que de notre propre point de vue ?
Dans la nature il n’y a pas vraiment de handicap, il y a surtout des différences. Cela vaut la peine de prendre le temps de comprendre comment elle fonctionne pour y trouver sa place et contribuer à l’écosystème.
Interagir c’est prendre en compte ces différences et réfléchir à des solutions adaptées à chaque situation.
La permaculture est l’art de concevoir des écosystèmes en optimisant les interactions entre les éléments afin d’obtenir entre eux des synergies, dans l’objectif de rendre l’écosystème résilient et donc durable.
Et dans nos organisations?
Nous insistons sur le développement de la faculté de se mettre à la place de l’autre, ce qu’on appelle l’empathie, c’est aussi changer son point de vue, sa façon de regarder.
Analyser une problématique du point de vue de son collègue, de son client, de son collaborateur, de son partenaire, c’est souvent la moitié du chemin.
Nous proposons d’utiliser des outils comme la carte d’empathie, et l’observation sur le terrain, ce que certains appellent les learning expeditions, qui consistent à s’extraire du quotidien et prendre le temps d’aller à la rencontre des autres et de leur écosystème.
Selon les sujets nous pouvons aussi proposer des méthodes d’investigation proches du journalisme ou des techniques d’observation inspirées des anthropologues et des ethnographes, elles prennent plus de temps mais sont plus complètes et permettent de comprendre le contexte plus en profondeur. Sur des sujets sensibles, c’est parfois l’occasion de faire participer des collaborateurs à l’étude et d’enclencher une prise de conscience, de renforcer la motivation à agir.